Compétences et Digitalisation : Le Duo Clé du Marketing RH

Interview avec Dominique Raze

Spécialiste des enjeux employeur, Dominique Raze a été directrice conseil puis DGA d’une grande agence de communication RH avant de rejoindre le groupe Carrefour où elle a notamment dirigé pendant 6 ans la Marque Employeur, l’Attractivité et l’Inclusion.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement le marketing RH et son importance pour les entreprises aujourd'hui ?

Le marketing RH consiste à rendre attractif, différenciant et visible ce qu’une entreprise offre à vivre réellement à ses collaborateurs, avec cet enjeu majeur en toile de fond : réussir à capter et fidéliser les compétences indispensables à la performance de l’entreprise.

Et ce n’est pas un petit défi quand on sait que les compétences évoluent très vite, que la part de population active diminue partout dans le monde, que de nouvelles aspirations individuelles challengent le rapport à un employeur et que la parole des entreprises et des institutions a perdu en crédibilité.

On réduit ainsi souvent le marketing RH à sa seule dimension communicante, mais le cœur du travail réside en amont dans la construction et l’alignement de l’offre RH de l’entreprise sur sa culture, mais aussi et surtout sur les défis stratégiques tant internes qu’externes qui se présentent à elle.

Quand par exemple EPSI France accompagne une entreprise dans la détection et le développement des collaborateurs qui seront à même d’accompagner la transformation liée à l’IA, les pratiques et programmes d’évaluation que vous déployez contribuent à enrichir l’offre RH de l’entreprise et peuvent être valorisés à leur tour dans une campagne d’image employeur, interne et/ou externe.

En synthèse, j’aime aborder la marque employeur par le biais d’un double savoir-faire : l’ingénierie RH et la communication. Ce qui m’amène à résumer le marketing RH ainsi : « Pour exister, il faut être recommandé. Et pour être recommandé, il faut d’abord être recommandable. 

Comment les tendances récentes en matière de marketing RH ont-elles évolué, en particulier dans le contexte de la digitalisation croissante des entreprises ?

Je retiens trois impacts marquants sur le marketing RH du fait de la digitalisation. Avec leurs atouts et leurs points de vigilance…

Visibilité & image employeur

Communiquer est devenu moins onéreux pour un employeur du fait du fonctionnement à la performance des médias digitaux et de leur possibilité de ciblage pointu, mais il est en parallèle devenu plus difficile d’émerger.

Les candidats sont davantage dispersés en termes d’audience, ils sont sur sollicités en termes d’attention et dans certains cas « pourchassés » par les recruteurs… Il faut donc réussir à porter une vraie différenciation dans ses campagnes, être plus que jamais dans la répétition et la démonstration par la preuve.

Pour toutes ces raisons, la recommandation est devenue le nerf de la guerre : car ce que l’on dit de vous aura toujours plus d’impact que ce que vous dites.

 

Expérience candidat

Les apports de la digitalisation dans le processus de recrutement sont nombreux. Les recruteurs ont gagné en efficacité dans la diffusion de leurs offres, la diversification de leur sourcing, l’analyse et le traitement des candidatures…

Les candidats eux bénéficient aujourd’hui de services facilitant leur recherche d’emploi, la compréhension des métiers d’une entreprise, leur positionnement face à ceux-ci, le dépôt et le suivi de leur CV… Mais je crois que la technologie ne doit pas faire oublier que le recrutement est avant tout une affaire d’humain à humain.

Ni une jobdesk, ni un chatbot, ni un dépôt simplifié de candidature ne susciteront de vocations si vous êtes sur des métiers pénuriques. Aucun algorithme n’est encore en mesure de vous pousser le candidat atypique, celui qui ne coche pas toutes les cases mais apportera une valeur ajoutée différenciante à la fonction. Et même si votre mail d’accusé de réception de candidature indique que sans réponse sous 3 semaines, le candidat pourra considérer que c’est un retour négatif, lui ne retiendra qu’une chose : vous n’avez juste pas pris la peine de lui répondre…

 

(Self) services RH

Mieux engager et rendre le collaborateur acteur de sa carrière est un leitmotiv fréquent en entreprise avec pour objectifs d’offrir à la fois plus de services, de facilité d’utilisation des programmes et dispositifs RH d’une part, et d’optimiser la charge des équipes RH de l’autre.

Là encore, la digitalisation permet d’enrichir l’offre RH à bien des niveaux : e-formation en libre accès ; organisation autonome du temps de travail, des congés, demandes d’avance ; outils de feedback, de suivi en temps réels des risques psycho-sociaux ; harmonisation des évaluations ; personnalisation des avantages sociaux ; data et reporting facilité des données RH…

Autant d’outils et de solutions qui sont de vrais leviers du marketing RH pour accompagner l’expérience collaborateur. Et qui démontrent toute leur puissance à quelques conditions :

  • répondre à un besoin réel de l’entreprise / des collaborateurs et non à un simple effet de mode
  • proposer une ergonomie optimale, accessible à tous
  • s’entourer d’une vraie pédagogie, notamment auprès des managers qui se retrouvent parfois seuls, en première ligne, pour guider leurs collaborateurs dans ces nouveaux usages. 

Comment voyez-vous l'impact de l'IA sur les pratiques de recrutement et de gestion des talents dans le cadre du marketing RH ?

Nous n’en sommes qu’au début et je n’ai pas de boule de cristal 🙂 ! Ce qui est assuré c’est que l’IA va avoir un impact majeur sur tout. Pas uniquement en RH.

Dans le domaine du recrutement, son usage est déjà pas mal répandu pour optimiser la rédaction des descriptifs de poste et leur performance par rapport aux algorithmes des jobs boards et des réseaux sociaux ; élaborer des personas candidats, des scripts d’entretien ou des combinaisons de tests adaptés à chaque poste ; trier des candidatures ; automatiser la rédaction des synthèses d’entretien…

A l’échelle individuelle, je pense que beaucoup de gens sont dans une phase d’exploration. On teste un peu tout (et n’importe quoi), on voit les apports, les limites, ce que l’on aimerait garder ou pas.

C’est à la fois excitant et déstabilisant car l’IA amène chacun de nous à challenger ses usages. Il y a des tâches que l’on est ravi de “déléguer” et de voir réalisées aussi rapidement. Et il y a celles qui touchent directement à nos propres compétences – l’écriture par exemple en ce qui me concerne – ou au système de valeurs que l’on associe à une tâche, exemple la sélection de candidatures…

Quels sont les grands enjeux RH actuels selon vous ?

Il y en a beaucoup, mais j’en retiens notamment trois.

Tout d’abord, le sujet de l’agilité partenariale dans le développement des compétences. Avec l’accélération des transformations, les entreprises vont avoir besoin d’aligner en continu les compétences et pour être plus agiles, elles vont devoir s’appuyer sur différents partenariats :

  • avec leurs collaborateurs tout d’abord, pour que ceux-ci soient prêts eux-même à se mettre en mouvement et s’emparent des dispositifs mis à leur disposition pour évoluer
  • avec leurs prestataires externes, experts, freelances
  • avec des acteurs de l’éducation, de l’insertion… pour aller créer des vocations et les savoir-faire manquants


Ensuite, il y a peut-être plus que jamais le sujet de l’égalité professionnelle, avec l’IA qui va toucher majoritairement des métiers administratifs et donc féminins, ou encore la mise en œuvre à venir de la directive européenne sur la transparence salariale.

Enfin, en tant que consommateurs, individus nous vivons désormais à l’heure de la personnalisation. Sur le plan RH et dans un contexte de guerre des talents, l’enjeu sera aussi de réussir à industrialiser la personnalisation des programmes et avantages salariaux sans perdre en équité.

En conclusion, quels conseils donneriez-vous pour travailler efficacement son marketing RH ?

Mon premier conseil est de bien définir en amont les besoins stratégiques de l’entreprise en termes de compétences et de qualifier sa capacité à les capter : ces compétences sont-elles disponibles sur le marché ou à créer ? me sont-elles accessibles en termes de salaires, de localisation, de parcours ?… Car mieux l’on connaît ses cibles de candidats, plus on sera en capacité d’aller au devant d’elles.

Ensuite, il faut s’attacher à identifier et renforcer ce qui peut constituer des points de différenciation saillants. Sous l’impact de la réglementation et par nécessité, la plupart des entreprises ont amélioré leur pratiques employeur ces dernières années et c’est tant mieux. Mais cela tend aussi à lisser les discours ou les actions.

Je suis convaincue que ce qui donne le plus de valeur à un employeur dans la durée repose sur deux piliers :

  • son « patrimoine » humain et managérial, c’est-à-dire ceux avec qui je vais travailler
  • sa capacité à déployer des programmes RH utiles au projet de vie – et pas seulement de carrière – des collaborateurs.


De quoi nourrir une belle feuille de route !

Enfin, le dernier volet consiste à développer sa visibilité en favorisant la répétition et surtout la cohérence des éléments de preuve apportés.